Lacan ou le pas de Freud, Mythes et mathèmes
par Élie Doumit
La psychanalyse est encore aujourd’hui tributaire de la figure du père ou du Nom-du-Père, supposés supporter toute la structure. Or cet axiome éminemment contestable se double « d’un préjugé méthodologique, celui de la prééminence du principe d’antériorité » (p. 52), à savoir le préjugé selon lequel il nous faudrait d’abord avoir des repères bien stabilisés, à savoir asseoir le principe de plaisir et sa régulation par le père pour fonctionner selon ces principes, avant d’entrevoir le moindre pas vers le Réel au-delà.
Élie Doumit nous fait faire un tout autre « pas », le pas (la négation ?) qui d’emblée se présente comme en décalage par rapport à cet axiome et ce préjugé méthodologique (ce qui chamboule complètement la pratique). Il s’agit bien d’un « retour à Freud » ; mais ce retour ne consiste ni à suivre la doxa freudienne centrée autour de ces principes supposés acquis, ni non plus à rejeter Freud au profit d’un Lacan supposé avoir dépassé une bonne fois pour toutes le fondateur de la psychanalyse. Car Lacan s’inscrit dans le sillage de Freud en décelant, dans le texte et la pratique de Freud, la « fonction du reste » (rien n’est définitivement acquis, il reste toujours à faire un pas). C’est la seule invention de Lacan, nommée l’objet a. Le livre de Doumit est à cet égard absolument fondamental pour saisir ce que Lacan apporte à la psychanalyse.
Le pas de Freud, auquel nous introduit Doumit par le truchement d’une lecture très rigoureuse du texte lacanien va à l’encontre de tout savoir constitué et de tout dit figé dans l’une ou l’autre formule morte. C’est un pas à reprendre sans cesse, car nous n’en avons jamais fini avec le savoir qui se présente comme un pouvoir avec ces principes supposés acquis. Avec ce savoir et pouvoir, nous éludons immanquablement la dimension créatrice de la vérité.
Comment animer ou ranimer la flamme ? C’est l’enjeu de la « fonction du reste » (l’objet a de Lacan) d’objecter sans cesse au savoir constitué et à ses dits figés et, par là, d’ouvrir un acte créateur. Cet objet a n’est réductible ni à un principe acquis, ni à un objet statufié, certes ; mais que peut-il faire ? Comment soutenir sa fonction positivement ? Il n’existe que par une logique rigoureuse, qui nous permet de passer des mythes, qui habillent l’oeuvre de Freud (sans la révéler) à la structure dont les mathèmes de Lacan tentent de rendre compte. Élie Doumit nous fait saisir l’enjeu des multiples références lacaniennes aux logiciens (l’auteur excelle à nous expliquer tout cela très clairement et sans céder sur la difficulté) : c’est toujours de relancer notre propre travail d’interrogation jusqu’à y rencontrer l’impossible et peut-être le Réel.
Christian Fierens
0 Comments
Leave a reply
You must be logged in to post a comment.