Ainsi, cette lecture du Très-Haut. Claudine Hunault rappelle que le livre ne s’adresse pas à un lecteur, n’a pas à le chercher. « La création poétique dit Blanchot n’est pure que dans l’équivoque ». Blanchot ne s’adresse pas à son lecteur mais au vide du tombeau.[1] […] Et Claudine Hunault en déduit : « Le vide est une réalité que nous éprouvons dans la lecture, nous en faisons l’expérience physique. »
Lire ce vide avant d’écrire et sans se laisser hypnotiser par lui, change l’écriture dont j’éprouve l’opération, car sans doute est-ce cela qui, paradoxalement, allège ma lecture. Apaisement d’un réel humain. Epuisement de la puissance d’un surhomme technologique.
Prenons ces journées sur La parole et la topologie. Ne nous précipitons pas à déduire qu’il est aisé de retrouver le rythme de la parole à simplement restituer les actes d’un colloque dont le thème, qui plus est, porte précisément dessus. Si je trouve que la parole fait acte dans ces écritures, c’est qu’elle n’est pas représentée par une forme, mais par la façon dont l’écriture s’adresse, ouvre à la réflexion, produit un transfert de lecture, un échange. Les interventions sont suivies des discussions qui ne sont pas des questions réponses, mais des réflexions construites. Je veux dire que la préoccupation majeure de l’échange n’est pas régie par la seule gestion du temps au point souvent de ne plus même s’intéresser à ce qui est en question. Lorsque Freud exposa sa lecture de l’homme aux rats, il le fit devant un public passionné. La présentation dura 5 heures ! Alors, nous ne sommes pas Freud, mais Freud ne s’adonnait pas aux vignettes.
Je referme le livre, l’échange en moi se poursuit. Je ne suis pas repue plutôt, pour l’énoncer à la façon d’André du Bouchet, je dirais : « livre que maintenant je sais fermer sans que sur nous le silence ait repris. »
Je referme le livre songeuse, regardant à nouveau cette couverture si simple, si discrète avec ce coup de pinceau interrompu à la marge. L’écriture ici ne vise pas cet unique trait de pinceau qui suturerait le monde, plutôt tisse-t-elle des paroles qui circulent, s’échangent, trament des motifs. Marcel Griaule rapportait ce magnifique mythe Dogon qu’il tenait d’Ogotemmêli où la bouche est un métier à tisser d’une parole qui se tresse à celles qu’elle rencontre.
Ici, ma lecture vit, respire, sans pouvoir anticiper le propos d’une pensée prévisible. Ecrire comme l’on écoute, avec étonnement ! Mise en acte d’un retour au texte qui produit une parole qui interroge le dit, le dire, le discours et la lettre, la linguistique, la logique et le nouage. Jamais installée dans un registre. L’écriture circule. Jean-Michel Vappereau remarque qu’après avoir repéré le trait unaire, Lacan dit la lisibilité nécessaire avant l’écriture. Pas d’archi-écriture d’une écriture double comme le propose Derrida. La parole reste première, la lisibilité précède. Je me demande s’il n’y a pas, selon l’utilisation que l’on fait ou que l’on fera des nœuds borroméens, le risque de vouloir « derrider » Lacan … si je puis me permettre, c’est-à-dire de le caricaturer sous un masque aux traits crispés qui ne sont pas les siens. Même le semblant n’est pas un masque, mais pluie, mouvement, discours.
C’est encore d’une autre façon que Jacques Nassif restitue le langage à la vie avec ce beau « livre de la poupée qui parle. » La poupée : tout ce qui pèse, tue, pétrifie, stéréotype. Le vif de la parole ici provient de ce qu’il formule ainsi : « absence de métalangage ». Pas d’énoncés sur des énoncés, de définitions arbitraires de références qui alourdissent un savoir ressassé. Ici, le psychanalyste est questionné par l’inquiétante étrangeté de l’homme au sable, de Frankenstein, de l’Eve future et renvoyé à Mary Shelley, à Villiers de l’isle Adam. L’objet regard et l’angoisse qu’il produit, si violente. Jacques Nassif de sa lecture rapporte en premier un trait structural à la littérature : la créature non seulement échappe à la son créateur, mais peut même se retourner contre lui, étant plus puissante que lui, ce qui constitue bien l’une des hantises de notre époque, si fascinée par la Science. » p.45
[1] P.39
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