Euthanasie : pratique procédurière versus questionnement éthique, burn out versus deuil
« … la façon dont nous avons à répondre dans l’expérience à ce que je vous ai appris à articuler comme une demande, demande du malade à quoi notre réponse donne sa signification exacte – une réponse dont il nous faut garder la discipline la plus sévère pour ne pas laisser s’adultérer le sens, en somme profondément inconscient, de cette demande. »
Lacan, séminaire VII, L’éthique, éd. Seuil 1986, p.9
Si l’on souhaite arrêter l’hémorragie des métiers de relation d’aide, notamment celui de soignant, il y a lieu de soutenir une réflexion qui tienne compte de la difficile réalité du terrain : une façon de travailler, ça se choisit, ça se réfléchit. Le projet de ce texte est d’envisager deux façons de travailler la demande d’euthanasie, qui ne sont probablement pas aussi scindées que ce que nous décrivons mais ce qui importe, c’est de repérer sur le terrain les glissements toujours possibles : soit la loi répond à la demande d’euthanasie par une procédure qu’appliquent des intervenants, soit un médecin et son équipe répondent par un questionnement éthique. Dans le premier cas, les décès se compteront en statistiques, dans le second, le décès sera toujours celui d’un patient particulier. Le rôle, l’implication subjective est bien différente et conduit soit au burn out, soit à la possibilité du deuil et de la perte comme relance dans ce travail.
Il n’y a pas de cas d’école : chaque demande d’euthanasie est unique, source d’enseignement certes, sans pouvoir faire « cas » cependant. Et dans cet enseignement, nous voulons souligner ici que l’euthanasie, telle qu’elle est conçue dans la loi, est d’abord une demande : une demande, ça passe par l’autre. Et nous pouvons préciser : par l’Autre du langage. Faute de quoi l’euthanasie est une pratique révoltante qui laisse des séquelles et relève du meurtre.
Michel De M’Uzan, psychanalyste, est connu en soins palliatifs pour avoir introduit la notion de « travail du trépas »[1]. La mort considérée comme partie intégrante de la vie n’est pas simplement un « ultime accident biologique », elle est un événement psychique à condition de lui donner lieu, à cet événement, d’en permettre une élaboration.
Nous ne discuterons pas ici du contenu donné par Michel De M’Uzan à ce travail ; nous voulons en souligner précisément la dimension d’une élaboration, à l’instar du « travail du rêve », du « travail du deuil » : un travail psychique inconscient porté par nos rêves et cauchemars, nos productions symptomatiques mais aussi artistiques, nos mots d’esprit plein d’humour, nos lapsus et autres actes manqués qui peuvent être si comiques : ce qui nous échappe relève de cet inconscient dont nous sommes chacun heureux propriétaire. L’entendre et le mobiliser passe par la parole, que ce soit par exemple le récit du rêve, déjà si porteur malgré son incongruité apparente, ou par exemple par l’énoncé du manque de l’endeuillé. Précisons encore, puisqu’il va beaucoup être question de ce travail inconscient, de cette élaboration : un travail inconscient, que nous essayons de soutenir, de relancer, lors des entretiens, dont le discours conscient est porteur ; mais certainement pas un travail de forçat[2], un devoir de penser, une rumination obsédante… sur ces questions.
[1] Michel De M’Uzan, Le travail du trépas (1976), in De l’art à la mort, Tell Gallimard 2002
[2] Nous pensons notamment au livre de Philippe Forest et Vincent Delecroix, Le deuil. Entre le chagrin et le néant, Gallimard 2017. Ces travaux forcés nous semblent être non pas ce que Freud soulignait du deuil avec sa notion de « travail » mais l’expression actuelle de la façon dont la société (« de consolation ») envisage le deuil : ça doit aller vite, très vite, et facilement. Il suffit de le vouloir …
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