Y a-t-il un progrès possible dans la pensée ? Passer et dépasser.
« On ne dépasse pas les grands penseurs ou les grands textes ». Mais qui nous dira qui sont ces « grands textes » ou ces « grands penseurs » ? Serait-ce le professeur qui a étudié sérieusement l’ensemble des grands textes de la philosophie, le professeur que fut et qu’est toujours Hubert Ricard ? Serait-ce celui qui semble bien être la référence dernière de Hubert Ricard, le grand penseur par excellence que fut et qu’est encore le texte de Lacan ?
Avec Hubert Ricard, retenons provisoirement deux grands penseurs : Spinoza et Lacan. Mais lequel des deux est le plus grand ? Le titre « De Spinoza à Lacan » semble nous indiquer une progression : Lacan est plus grand que Spinoza. On retrouverait une gradation semblable dans une citation de Lacan qui sert de titre à un chapitre du livre de Ricard : « Kant plus vrai que Spinoza ». Qu’est-ce qui nous amène à ce podium d’école maternelle où l’on dirait Kant plus vrai que Spinoza et Lacan plus grand que Kant, comme on dirait « mon papa est plus fort que le tien, parce qu’il est policier » ? C’est le terme de grandeur qui implique le comparatif « plus » : une plus grande personne, un plus grand penseur, un plus grand texte.
« De Spinoza à Lacan » nous dit qu’on peut passer de Spinoza à Lacan et Hubert Ricard en donne la démonstration. On peut imaginer soit un passage par voie continue, sans solution de continuité, soit un passage par saut ou par rupture sur des points précis de doctrine (j’en discuterai plus loin à propos de Spinoza et Lacan). Mais quel que soit le mode de passage, il n’est pas dit qu’on dépasse un penseur ou un texte (Spinoza) par l’autre (Lacan). « On ne dépasse pas les grands penseurs ou les grands textes ».
A partir de ce passge, en quoi pouvons-nous dire que ce sont de « grands penseurs ou de grands textes » ?
Au lieu de partir de grandeurs données pour ces « penseurs » ou ces « textes », partons du mouvement, du passage : de… à….. Passer de Spinoza à Lacan, c’est le fait d’une passe – c’est de la réussite ou de l’échec d’une telle passe que nous avons à juger ici. Hubert Ricard se fait le passeur de Spinoza. Pour quoi ? Pour le philosophe ? Spinoza n’en demandait pas tant, forcément à son époque, et aujourd’hui l’absence des philosophes à cette table confirme bien malheureusement cette non-demande. Pour Hubert Ricard qui passe de la philosophie à la psychanalyse ? C’est un fait, c’est son histoire. Mais c’est surtout pour le lecteur que la passe se fait. Lire en psychanalyse, titre de la collection, consiste à entrer dans la mouvance du texte, de Spinoza par exemple, pour ouvrir la voie où le texte trace son chemin vers sa destination renouvelée. Autrement dit, il ne s’agit pas du tout d’apprendre quelques éléments scolaires ou d’établir quelques parallèles qui fixent les idées. Il s’agit de sentir et d’expérimenter que l’on passe par un processus dans la lecture du texte, que l’on se déplace et se dépasse en lisant et en travaillant, que le texte « donne à penser ». Ici, c’est déjà Hubert Ricard, le psychanalyste connaisseur de Lacan, qui se met (ou se remet) à la lecture de Spinoza : c’est aussi « de Lacan à Spinoza ». Et dans ce va-et-vient entre lesdits « grands penseurs », c’est le lecteur qui fait l’épreuve de son propre dépassement, de son propre passage où il se trouve renouvelé.
« On ne dépasse pas les grands penseurs ou les grands textes », le lecteur se dépasse en les lisant et en les travaillant et c’est précisément cet autodépassement qui définit après-coup la « grandeur » de ces textes en faisant la preuve et l’épreuve. Ladite grandeur est située exactement dans la passe, dans le passage effectué et vérifié, indépendamment du nombre de pages ou de caractères du texte, indépendamment des dimensions physiques ou morales de la bibliothèque où il se range, indépendamment de sa reconnaissance par les experts ou de sa diffusion médiatique.
Le passage ou la passe, est-elle avérée à la lecture de « De Spinoza à Lacan »?
0 Comments
Leave a reply
You must be logged in to post a comment.