Solitude

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Se soutenir de la solitude.

Je voudrais évoquer deux facettes de la solitude en fonction d’un positionnement éthique. L’une de ces facettes est une solitude radicale en attente d’un accompagnement absolument singulier. L’autre facette, c’est celle de la solitude à laquelle est condamné chacun quand des parades contre la première de ces facettes sont mises en place pour en éluder la dimension radicale.

Précisons que nous appellerons « soignant » (un acteur qui prend soin) tout intervenant, quelle que soit sa fonction, médecin, infirmier(e), bénévole, psychologue, kiné… Et les proches.

L’une de ces facettes est un point de solitude radicale : avec inquiétude Nancy pose beaucoup de questions et demande à des soignants comment se passera sa mort. Ils lui disent qu’ils feront tout ce qui est possible pour que ça se passe bien, qu’ils seront là. Nancy répond en mordant : « Ils seront là ? C’est moi qui vais mourir ! ». Elle et elle seule, qu’il y ait une foule de personnes bien intentionnées auprès d’elle ou pas, elle sera seule à mourir et elle le dit en mordant parce que cette dimension, cette place d’exception, avec ce qu’elle charrie, n’est pas reconnue. A cette facette correspond la solitude tout aussi radicale de tout soignant auprès de la personne mourante : il est radicalement seul – solitude qui se dit dans l’impuissance des proches, dans les moments d’annonce si difficiles où chaque mot pèse, dans le geste de la main agrippée…

Le soignant peut choisir comment il travaille ce registre. Plutôt que mettre au travail une place d’exception, il est souvent tentant de choisir la voie d’un confort immédiat et de trouver des palliatifs programmés à cette solitude radicale, ils ne manquent pas. Mais ils conduisent au burn out et au deuil qui stagne, ils condamnent chacun – patient et soignants – à cette autre facette de la solitude, celle qui confine au silence, à la colère et/ou la tristesse, au repli sur soi, propres à ce qui n’est pas entendu, à ce qui est écarté : facette de la solitude finalement bien plus terrible parce que cachée dans un pseudo accompagnement – qui éventuellement revêt des atours brillants – infondé, alors que ce qui peut réellement s’appeler un accompagnement est fondé dans la singularité de chacun.

Le chemin propre à un tel accompagnement singulier passe par ce que Lacan, reprenant et commentant le rêve d’une personne endeuillée, a appelé « la douleur d’exister », douleur qui saisit à vif tant le patient que les soignants. C’est l’inconfort inhérent à notre statut d’être humain qui est ici touché. Mais travailler l’assomption de cette solitude jusqu’à ce point de douleur d’exister offre une réelle ressource, une relance.

Quelques repères…

Le psy travaille dans le champ du désir et non du besoin. C’est pour cela qu’il travaille dans le registre de la parole, parce que dès qu’on lui donne la parole, le désir se déploie. Ainsi, quand une patiente enfermée dans une chambre stérile depuis un mois nous dit avoir besoin de sentir la pluie sur son visage, la demande va bien au-delà de quelques gouttes d’eau : l’eau dont il s’agit, c’est l’eau qui chante tant dans les images que dans les mots, c’est la Water Music De Haendel, c’est le menu flot sur les cailloux de la poésie de Verhaeren… Quand le désir se pointe, il ne s’agit pas d’envoyer cette patiente sous la douche : le désir a bien plus à voir avec la poésie qu’avec l’objet réel du besoin. Le désir court comme le cours d’eau et s’enrichit de tous les bras de ce qui fera un fleuve, il stagne ici et rebondit ailleurs en une cascade, il ne cesse d’investir, surinvestir, désinvestir, avec ses secrets, ses contradictions. Mais quel peut être encore le mouvement du désir quand la mort approche ?

Le désir a partie liée avec le rêve – ce que la langue, française ou non, connaît depuis bien longtemps : « I have a dream » disait Martin Luther King, dont le rêve d’une Amérique fraternelle entre Blancs et Noirs mériterait d’être réactualisé… et dit suffisamment que le désir est et reste inassouvi, autrement dit que c’est un perpétuel mouvement : le « I have a dream », c’est ce vers quoi on peut tendre par un mouvement ou par un travail, par une mobilisation psychique.

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