La question préliminaire

La question préliminaire

« D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »

Reprise du séminaire sur Les psychoses de 1955-56

 

Le texte est écrit en décembre 1957- janvier 1958. Soit pendant Les formations de l’inconscient. Publié en 1959 (Le désir).

Il s’agit du traitement possible de la psychose, plus précisément d’une question qui doit être traitée avant d’envisager n’importe quel traitement de la psychose (thérapies médicamenteuse, institutionnelle, ergo-, comportementaliste, psychanalytique, etc.).

Le traitement, dans sa diversité, est vu comme possible ce qui veut dire deux choses :
1° il n’est pas considéré encore comme effectif,
2° il est envisagé comme pouvant le devenir.

On s’arrête entre les deux. Pourquoi ? Pour développer le préliminaire à tout traitement possible de la psychose. Ce préliminaire c’est Freud. Et « il n’est pas question de dépasser Freud », d’aller « au-delà de Freud » quand on n’a pas connu Freud.

La question préliminaire est ainsi selon Lacan une question purement freudienne qui introduit nécessairement la question du transfert ; « la conception à se former de la manoeuvre, dans ce traitement, du transfert » (p.583).

Quel que soit le traitement de la psychose, la question préliminaire est non seulement psychanalytique, mais freudienne.

 

D’où les cinq chapitres du texte :

  1. Vers Freud : la psychose est une excellente introduction à Freud.
  2. Après Freud : la psychanalyse postfreudienne a oublié la part essentielle de l’apport freudien.
  3. Avec Freud : il s’agit de dégager l’essentiel de la structure du parlant.
  4. Du côté de Schreber (le cas freudien publié en 1911), il est montré comment le problème de la psychose « n’est pas celui de la perte de la réalité, mais du ressort de ce qui s’y substitue » (p.542) et cela selon La Structure (du parlant en général)
  5. Le Post-scriptum s’arrête sur la question du Nom-du-Père à la place de l’Autre (deux termes freudiens qui devraient éclairer le transfert)

 

 

Chapitre 1 : Vers Freud

 

L’introduction à Freud par la psychose, c’est la doctrine du signifiant.

 

1. Une conception ordinaire et fausse de la psychose.

L’individu se comprend trop facilement comme un assemblage. Il est vu comme une synthèse, un ensemble de facultés. Parmi ces facultés, la perception est supposée synthétiser de multiples sensations pour être en prise sur la réalité.

La psychose se présente sous la forme d’une perte de réalité. Comment l’expliquer ? L’hallucination est un perçu sans objet. Quelque chose est perçu, mais il n’y a rien dans la réalité. On ne trouve pas les sensations qui auraient causé cette perception particulière qu’est l’hallucination. Donc c’est le percevant qui est en cause. L’hallucination se produit non en raison d’un stimulus extérieur, mais parce que l’individu est psychotique. C’est lui la raison de l’hallucination.

Critique de cette conception : on a supposé la reconstitution de la réalité par assemblage de sensation sous la houlette d’un sujet synthétiseur. Comme il n’y a pas de sensation correspondante, c’est le sujet synthétiseur qui est en cause. La réalité n’est pas (re)-construite à partir d’un amas de sensations, mais à partir du langage. Pas de réalité sans le monde du langage.

 

2. L’hallucination est signifiante.

Le signifiant est d’abord en suspens de signification. Autrement dit, il est fondamentalement équivoque, il a plusieurs voix et plusieurs voies.
La multivocité inhérente au signifiant c’est qu’il signifie tout autre chose que ce qu’il signifie, il est déplacement, métonymie. Et c’est à partir de cette métonymie qu’il pourra produire quelque étincelle de métaphore, où le sens vient à se condenser.

 

3. Exemple d’hallucination (et de signifiant).

Un couple délirant mère-fille. En croisant l’ami de la voisine, la fille hallucine « truie ». Dans ce contexte, le mot n’est guère équivoque : le voisin l’injurie. Lacan qui interroge la patiente ne fait pas appel à la réalité, aux bons offices d’une psychologie pour tempérer la présomption d’injure. Il n’est pas fait non plus appel à un jeu de ping-pong entre la patiente et son voisin, propre à l’injure : « cochon-truie, etc. ».

Le mot est pris comme une métaphore, c’est-à-dire comme l’aboutissement d’un signifiant comme processus. Quelle est cette signifiance ?
Qu’est-ce qui a pu se proférer avant « truie » ?

Il s’était murmuré en elle : « je viens de chez le charcutier ». Laquelle phrase est équivoque. Outre bien d’autres choses, le charcutier pourrait être l’ex-mari de la patiente qu’elle a quitté à partir du moment où elle avait la conviction que ce paysan voulait tout simplement la charcuter.

 

4. Rapport du signifiant avec la réalité et le réel.

Un signifiant peut produire quelque chose hors réalité : ex. l’hallucination, une irréalité, certes.
Beaucoup plus fondamentalement, la question du signifiant se présente « sous forme de chaîne brisée » (p. 535). Que veut dire cette brisure ?

Le signifiant est double (la « duplicité » du signifiant). Ou encore un signifiant se définit par la différence, non pas simplement par une différence synchronique (un chat est différent d’un chien), mais par une différence diachronique : un signifiant est employé pour autre chose que ce qu’il signifie (le chat fait oua oua). Cette duplicité du signifiant provoque la division du sujet. Tout signifiant a cet effet « de susciter dans le percipiens un assentiment fait du réveil de la duplicité cachée du second par l’ambiguïté manifeste du premier » (p. 536). Signifiant doublé donc sujet divisé.

La conception du signifiant s’oppose à toute conception d’un processus psychique en terme de symptôme indice (la conception du DSM). Il ne faut pas comprendre le symptôme (délire, hallucination) comme indice de la psychose. Dans la psychose, le symptôme, si on sait le lire, est « clairement articulé dans la structure elle-même », à entendre comme La Structure du signifiant (p. 537).

Où est la chaîne brisée ? Elle n’est pas dans la différence de choses dont on parle, mais dans la duplicité du signifiant lui-même. À partir de là, se rencontre la brisure : primo la duplicité du signifiant qui se différencie de lui-même (continuité de la métonymie), secundo l’arrêt de ce mouvement et la fixation d’une signification (brisure de la métaphore) comme on l’a vu dans l’exemple « truie ».

 

5. Preuve par Schreber du symptôme comme signifiant et non comme indice.

Deux types d’hallucinations distinguées par Schreber lui-même.

Un premier type d’hallucination énonce les emplois du néocode, de la langue délirante, de la Grundsprache. Il s’agit à proprement parler d’une linguistique, dont l’objet est le néocode en même temps que la matière du délire tournant autour des nerfs et des rayons divins. Ce mécanisme signifiant peut d’ailleurs tourner en ritournelles (comme tout signifiant).

Un deuxième type d’hallucination met en cause plus directement le processus d’énonciation. La continuité de la phrase y est brisée. La voix de l’hallucination propose une phrase interrompue : « maintenant, je vais me… », « vous devez quant à vous… », « je vais y bien… ». L’interruption se produit précisément après les termes index, les shifters. L’individu psychotique doit répliquer à ces hallucinations provocatoires par un supplément significatif.

Il est évident que la psychose se situe dans le champ du langage. C’est la question préliminaire qui disqualifie toute conception qui se réduirait soit à une approche symptomatique-indicielle, soit à une approche en terme neurophysiologique.

 

Chapitre 2 : Après Freud

 

1.Le simplisme de toutes les conceptions postfreudiennes.

Il s’agirait simplement d’expliquer comment faire passer l’intérieur dans l’extérieur. Comment faire passer l’intérieur du psychotique dans l’extérieur de la réalité ?

La réponse se trouve dans le mécanisme de la projection, absolument incritiqué.

De telles références lisent très mal Freud. La projection intervient bien sûr dans le Schreber de Freud. Le troisième chapitre fait intervenir la projection comme un mécanisme secondaire, dépendant du refoulement, du narcissisme et du fantasme homosexuel (tel qu’il a été dégagé dans le deuxième chapitre du cas Schreber).

Remarquons que la « forclusion » freudienne (Verwerfung) n’est nullement un mécanisme propre à la psychose : c’est simplement un jugement qui rejette une proposition en raison d’un refoulement sous-jacent.

On critique le simplisme postfreudien.

Il ne faudrait pas tomber dans un simplisme postlacanien semblable. Je mets en garde ici comme une autre réponse qui fait foi du mécanisme de la forclusion, absolument incritiqué. « Ce qui est rejeté du symbolique est projeté dans le réel vu comme réalité ».

Devra répondre à ce simplisme : le refoulement (c.-à-d. le signifiant)= « Avec Freud ».

 

2.Le narcissisme comme mécanique des vases communicants.

L’introduction du narcissisme de Freud est employée à justifier un système de vases communicants : la libido gonflerait le moi en même temps qu’elle dégonflerait la réalité baudruche. On emploie le texte freudien pour promouvoir simplement la notion de « perte de la réalité ». Notion courante : on s’intéresse au monde extérieur ou à soi (égoïsme ou altruisme). Tout est déjà là.

Pourtant la question du narcissisme serait bien plutôt comment le moi se constitue-t-il (le développement du moi) à partir de l’économie subjective en tant qu’elle est déterminée par l’inconscient (compris comme signifiant). La question de constitution : « comment ça se constitue ? » est au coeur de l’expérience psychotique. Tout est ici processus. « Le problème n’est pas celui de la perte de la réalité, mais du ressort de ce qui s’y substitue » (p. 542).

Devra répondre : le mécanisme de constitution, le processus visible par exemple « du côté de Schreber ».

 

3. Le naturalisme éducatif.

La tendance (le ça) s’opposerait à la réalité. Cf. la deuxième topique freudienne. À partir de là, il s’agirait d’accorder le couple ça-réalité. Autrement dit de gratifier (autant que faire se peut) les tendances en fonction de la réalité. Gratification et frustration ne sont « nulle part mentionnées dans Freud » (p. 543).

À ce naturalisme adaptatif s’oppose l’armature de l’édifice freudien :
– « l’équivalence maintenue par Freud de la fonction imaginaire du phallus dans les deux sexes »,
– « le complexe de castration » et « l’assomption par le sujet de son propre sexe »
– « le mythe du meurtre du père », « dans toute histoire personnelle »,
– « le dédoublement porté dans la vie amoureuse », l’objet aimé n’est jamais que le double du premier objet toujours manqué (cf. la répétition) ».

Le principe de réponse c’est l’armature freudienne.

 

4.Différentes formations imaginaires qui pourraient expliquer la psychose.

Dans le deuxième chapitre de son Schreber, Freud met en évidence l’homosexualité refoulée de Schreber. La cause occasionnelle de la maladie fut une poussée de libido homosexuelle. Macalpine critique justement le cliché. Macalpine peut proposer un autre fantasme essentiel à la place du fantasme homosexuel, à savoir le fantasme de procréation. Ces fantasmes (homosexualité, procréation, et d’autres encore) sont bien entendu « liés à une structure symbolique ». On proposerait ainsi l’un ou l’autre « point sensible où doit porter l’interprétation » (p. 545).

Mais « aucune formation imaginaire n’est spécifique, aucune n’est déterminante ni dans la structure, ni dans la dynamique d’un processus » (p.546).

Pour comprendre le processus (quel qu’il soit) dans sa structure et sa dynamique, il faut saisir l’articulation signifiante de l’inconscient (c’est la raison de la référence méthodique de Freud à l’Oedipe).

Réponse : ce n’est pas le fantasme ou le symptôme imaginaires, mais le procès symbolique qui doit nous guider.

 

5. La perte de réalité et le transfert (comme possibilité du traitement).

À partir du schéma de la tendance et de la réalité et du moi (la seconde topique freudienne) qui gère les contacts entre le ça et la réalité, il découle que c’est le moi qui est responsable par rapport à la réalité. C’est le moi qui fait la différence entre psychose et névrose. Le moi est psychotique ou non. L’individu est psychotique ou non.

La question est donc maintenant tel individu peut-il gérer ce qui fait frontière, franchir le pont, rencontrer l’autre, c’est-à-dire avoir accès à la réalité ? À partir de là, il devient évident qu’un individu pourrait être guéri, si et seulement si il a accès à la réalité, si et seulement si il y a possibilité de transfert. Si la psychose est égale à perte de la réalité, elle est par définition inguérissable. Autrement dit la psychose est guérissable « dans tous les cas où il ne s’agit pas d’une psychose » (p. 547).

Réponse : la mise en question de la structure et notamment de la notion d’autre : l’Autre n’est plus le représentant de la réalité opposé au ça par l’interface du moi.

 

Chapitre 3 : Avec Freud

 

1.L’Autre

« Le désir, l’ennui, la claustration, la révolte, la prière, la veille, la panique enfin sont là pour nous témoigner de la dimension de cet Ailleurs » et pas seulement comme des états d’âme (p.547). On rencontre tout cela de façon insistante dans le processus psychotique. Pas de vie humaine sans ce lieu de l’Autre.

Même si la pensée qui veut tout penser — je pense ici à l’arrogance de certaines approches — tolère mal cette éventuelle concurrence (p.548). On pourrait ajouter : le psychologue tolère mal la concurrence du psychotique quant à l’importance soutenue de ce grand Autre. Donc il est tout disposé à le dénier et à dire « ce n’est qu’un semblant d’Autre », « il n’est pas vraiment dans ce qu’il dit », etc.

 

2.Le schéma L

Pas de sujet sans ce lieu de l’Autre. « La condition du sujet S (névrose ou psychose) dépend de ce qui se déroule en l’Autre. Ce qui s’y déroule est articulé comme un discours (l’inconscient est le discours de l’Autre) » (p.549). La condition de possibilité de tout sujet ; il est dès lors insensé de faire l’impasse sur l’Autre pour le sujet psychotique. Pas de psychose sans ce lieu de l’Autre, y compris l’inconscient et son discours.

Le sujet est partie prenante à ce discours inconscient articulé dans l’Autre par l’intermédiaire de ses objets et de son moi qui imprime sa forme sur ces objets, nous dirons que le sujet est mis en question par le discours de l’inconscient via l’intermédiaire d’une relation moi-objet.

Autre façon d’exposer le schéma L (à partir de la relation du moi et ses objets) : nous sommes nécessairement dans la représentation, face à face du moi et de ses objets. On a semble-t-il deux choses face à face : le moi et les objets. Le Moi qui questionne ses objets n’existe pas en lui-même, mais seulement par rapport à ce qui se présente comme radicalement Autre. Les objets n’existent pas en eux-mêmes, mais seulement par rapport à un non point qui n’est pas l’objet et qui n’est pas non plus la reprise des objets dans le discours du Moi. Ce point c’est le sujet stupide. Est-ce que ce point réduit existe vraiment ?

« La question de son existence baigne le sujet, le supporte, l’envahit, voire le déchire de toutes parts ». Y compris le sujet psychotique. Ce qui se fixe dans les symptômes.

 

3.Cette question est articulée

Elle est signifiant et le signifiant est toujours cette question complexe à quatre termes. Position paradoxale, on le l’attend pas, invraisemblable, parce qu’elle se pose à partir de l’inconscient, dans l’Ailleurs. Position certaine pourtant parce qu’elle seule induit la structure de signification qui implique le sujet. Tel que le montrent les shifters inhérents à toute phrase.

On peut continuer à se poser la question de savoir si le signifiant n’interviendrait pas pour communiquer ce qu’il y a à signifier. C’est mettre entre parenthèses la question du sujet au coeur de la psychose.

La mise en question de l’existence du sujet (qu’il puisse n’être pas, qu’il puisse être homme ou femme) (et pas simplement la valeur d’indice du sujet) ne se pose qu’avec le signifiant déplié dans le schéma L. La mort du sujet serait certaine sans l’Autre. L’existence, nécessairement sous forme du réel ou du sexe, dépend de l’Autre.

 

4.La pauvreté de l’Autre

L’Autre ne doit pas être confondu avec les « protomorphes foisonnements de l’image ». Ces créations imaginaires (rêves, dessins, symptômes, fantasmes…) se situent au niveau des objets et du moi. C’est pourquoi Freud a rejeté la « mantique » jungienne des Métamorphoses de la libido.

Il est essentiel à l’Autre de ne pas se laisser encombrer par ce matériel imaginaire. L’articulation proprement signifiante, « prend effet de sa loi interne et d’un matériel soumis à la pauvreté qui lui est essentielle ».

 

5.La structure combinatoire de la mise en question du sujet

Elle comporte quatre points (quaternaire).

Elle s’articule à partir de l’Autre. L’Autre se supporte du signifiant lui-même qui se différencie à partir de lui-même. Avec pour effet la mise en question de l’existence du sujet, dans son rapport à la mort et au sexe.

C’est le complexe d’Oedipe qui pose classiquement la question au moyen d’un scénario et d’un schéma qui n’est pas sans rapport avec l’imaginaire. Grâce au support de l’Oedipe, l’Autre se différencie ainsi en trois signifiants en tant qu’à partir de lui-même, de sa seule autorité (1), il interfère dans la relation du moi (2) avec ses objets (3). En termes oedipiens, le père (imaginé comme en dehors de la relation imaginaire) interfère dans la relation de l’enfant avec sa mère (la relation est imaginaire). Les personnages sont là seulement pour laisser sonner le signifiant dans sa différenciation : le signifiant en lui-même ou le Nom-du-Père (P), le signifiant du côté du moi ou l’idéal du Moi (I), le signifiant de l’objet primordial (M).

Le sujet n’est strictement rien avant le signifiant. Le sujet n’est que l’effet du signifiant. Avant le signifiant, le sujet est mort et il ne prend vie que par le jeu du signifiant. Le jeu du signifiant partant de l’Autre le met en question.

L’Autre trouve à se différencier, à se différencier de lui-même grâce à un matériel imaginaire, qui doit être numériquement réduit pour correspondre à l’action pauvre de l’Autre (un « set », un ensemble ici réduit à deux éléments + le représentant de l’Autre lui-même). Le couple imaginaire du Un face au multiple, le couple imaginaire du moi face à ses objets est articulé imaginairement par le stade du miroir : c’est l’image spéculaire unifiée qui se trouve en face de morceaux du corps qui donne le schème du moi situe en face de ses objets.

Nous avons presque l’intégralité du schéma R. Reste le sujet. La question. Il est toujours mort (dépendant du signifiant) et la relation imaginaire n’est là que pour voiler sa prématuration spécifique qui le voue aussi à la mort.

 

6.L’image phallique comme clôture du schéma R.

Le sujet ne s’identifie avec son être de vivant qu’en se nommant comme correspondant imaginaire de l’Autre comme signifiant par lui-même (Nom-du-Père). C’est l’image phallique. « Toute libido est phallique » veut dire : « toute libido fournit le matériel nécessaire et suffisant pour soutenir la relance du sujet ». Ce phallocentrisme absolu – on retrouve le phallus partout – ne vaut que comme « entièrement conditionné par l’intrusion du signfiant dans le psychisme de l’homme » (p.555). Rien à voir avec une normativité de l’instinct qui répète à l’identique.

Avec ce point de relance, nous avons complété le schéma R, le schéma de la réalité, « qui représente les lignes de conditionnement du perceptum, autrement dit de l’objet, en tant que ces lignes circonscrivent le champ de la réalité, bien loin d’en seulement dépendre » (p.552). Les conditions de possibilité de l’objet sont les conditions de possibilité de l’expérience de l’objet [1]. L’objet et sa réalité n’existent que dans le processus d’en faire l’expérience.

Si la psychose est perte de réalité et processus de réparation de cette même réalité, elle implique fondamentalement les conditions de possibilité de la réalité et leur mise en cause et les mêmes conditions de possibilités pour recréer cette réalité. Donc l’intégralité du schéma R, du schéma qui constitue la réalité. C’est toute la question préliminaire à tout traitement possible de la psychose.

 

7.La fonction imaginaire du phallus et le Nom-du-Père.

La signification du phallus – c’est-à-dire la relance continuelle du sujet dans son identité vivante et sexuée — « n’est évoquée que par ce que nous appelons une métaphore, la métaphore paternelle » (p.555). Pas moyen de donner une signification au phallus imaginaire sans pointer quelque chose de précis au lieu de l’Autre, sans le Nom-du-Père. Quelle est cette signification du phallus ?

La « paternité ». On tourne en rond. Qu’a produit le Nom-du-Père ? Réponse : ce qu’a produit le Nom-du-Père = la paternité. Mais ce rond a précisément la consistance du signifiant. En répétant le même signifiant, je produis la signifiance. C’est « la fonction de signifiant qui conditionne la paternité ». « L’attribution de la procréation ne peut être l’effet que d’un pur signifiant ».

Les deux relations signifiantes – le Père servant de support pour le signifiant en lui-même et la Mort comme condition première du sujet – conjoignent leur thème dans la névrose obsessionnelle par exemple (meurtre du Père et Loi symbolique, dette par où le sujet se lie à vie à la Loi). On retrouvera les mêmes thèmes au coeur de l’hystérie.
C’est ces mêmes thèmes qui structurent tout le procès de la psychose. De façon plus radicale. La psychose mettre davantage en lumière la structure de l’être parlant.

 

Chapitre 4 : Du côté de Schreber.

 

Si la psychose doit être vue essentiellement comme un processus et non comme un état, elle ne peut être abordée que par le processus humain analysé à partir de la mise en question du sujet et explicité par le schéma L. Et ce processus se dit fondamentalement dans la production de la signification phallique à partir du signifiant en lui-même, à partir du Nom-du-Père.

 

1.L’entrée dans la subjectivité du délire de Schreber par la signification du phallus.

La subjectivité de la psychose s’inscrit dans le schéma L et elle est processus.
Le processus en question est évoqué dans la signification du phallus par la métaphore paternelle. Le fonctionnement de cette dernière exige deux conditions. D’une part l’opération de l’absence de la mère : le signifiant de l’Autre supportant l’objet doit pouvoir s’absenter. Là où le schéma de la réalité, le schéma imaginaire qui relie le Moi à ses objets reste prévalent, il n’y a pas de place pour autre chose (pour la relation symbolique partant de l’Autre). D’autre part, le signifiant de l’Autre par lui-même doit pouvoir se présenter. Remarquons que quoi qu’il en soit le signifiant est déjà présupposé et il persistera de toute façon sous la forme du I, de l’idéal du moi inhérent au système.

L’affirmation du Nom-du-Père (P) et l’élision du désir de la Mère (M) produisent la signification du phallus. C’est par lui-même que le mouvement du signifiant se trouve relancé pourvu que s’élident la Mère et toute la matière objective qui en dépend y compris son déterminisme matérialiste.

« Essayons de concevoir maintenant » (p. 557) non pas la présence du Nom-du-Père, mais son absence radicale. Pas simplement un refoulement comme chez le névrosé qui donne toute la place à une personnification de l’Autre pour s’épargner le mouvement de l’Autre lui-même, du signifiant en lui-même (du Nom-du-Père), lequel insistera comme retour du refoulé.

Lacan appelle l’absence radicale « forclusion », laquelle traduirait la Verwerfung freudienne. (C’est une traduction-trahison).
L’absence radicale suppose d’une part la structure déjà là (le schéma L) et d’autre part l’appel. À l’appel, il n’est pas répondu « présent ».
« Au point où est appelé le Nom-du-Père, peut répondre un pur et simple trou, lequel par la carence de l’effet métaphorique provoquera un trou correspondant à la place de la signification phallique » (p.558).

On a bien au départ la structure du processus de subjectivation (donnée dans le schéma L). Mais la subjectivation se joue d’une façon particulière, puisque le lieu de l’Autre n’est pas rempli, il reste vide, il reste un trou. À l’appel du Nom-du-Père, évoqué par les noms de Flechsig et de Schreber, il n’est pas répondu au niveau du signifiant par lui-même. En conséquence, la question du sujet se joue sur un mode particulier : le sujet reste sans appui, il est sous la forme d’un mort. Le « meurtre d’âme » est la seule forme possible du sujet. Le sujet reste mort. « Il s’agit là d’un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet » (p.558).

« Nous nous emploierons à montrer une structure (la subjectivation propre au schéma L), qui s’avèrera semblable au procès même de la psychose » (p.559). La psychose est essentiellement un procès (le problème n’est pas la perte de la réalité, mais le ressort de ce qui s’y substitue, p.542) et ce procès suit exactement le programme de la mise en question du sujet.

Les remaniements de la mise en question du sujet comportent quatre conditions :
– au lieu de l’Autre, manque le support stable du Nom-du-Père,
– au lieu des objets du moi, la symbolisation de l’objet primordial par la Mère n’est plus structurée par le Père et les objets du moi peuvent se développer à l’infini,
– au lieu du sujet, manque le phallus paternel,
– au lieu du moi, l’image spéculaire n’est plus rattachée au concret de la réalité présente et elle se développe à l’infini.

Toutefois moyennant ce qui n’a pas changé dans la structure. La fonction du schéma L (c’est-à-dire le signifiant) est intégralement conservée.

 

2.La création ex nihilo.

Le signifiant par lui-même agit comme créateur. À partir de rien. De rien d’autre que lui-même. L’acte de faire naître une existence de rien n’est paradoxal que si l’on se place d’emblée dans la matière, dans la réalité, dans la relation du moi à ses objets. Le processus créateur ne se réduit pas du tout aux transformations mentales de l’individu. Tout part du signifiant par lui-même.

Si tout part du personnage du Père ou de Dieu, il ne s’agit pas vraiment d’une création ex nihilo, mais bien plutôt d’une émanation.
Si le Nom-du-Père vient à faire défaut, ça n’arrête pas le processus de création. Au contraire, ce rien permet lui-même la création ex nihilo. Le créationnisme est fondamentalement athée, dire Lacan dans le séminaire de L’Ethique.

 

3.La création chez Schreber.

Le créateur, le créé et les créatures.
Le créateur est une place vide. De ce vide témoigne « l’appel au secours » (p.560), c’est-à-dire l’appel du Nom-du-Père, auquel rien ne répond. « Dieu se retire ». Mais l’appel est bien là, insistant, qui provient du grand Autre.

La création et le créé persistent en raison de la structure. De sa poitrine est tiré le miracle du hurlement.
Avec pour conséquence les « créations miraculeuses, c’est-à-dire nouvellement créées, espèces volantes : oiseaux ou insectes » (p.560).

 

4. La victoire du créé sur le créateur.

Ce n’est pas simplement que cet Autre unique (représenté par le Nom-du-Père) soit propre à vider les lieux, c’est qu’il est fondamentalement absent (absence de toute trace de sondage des reins et des coeurs) (p.562).

Pourtant s’affirme la victoire d’un créé « qui se maintient contre sa chute par le seul soutien de son verbe et par sa foi dans la parole » (p.563). L’occasionalisme de Malebranche (la création continue par Dieu) nous assurait que Dieu courrait d’événement en événement pour soutenir la création. Malebranche trouve son pendant dans le procès psychotique, qui continue à créer pour ne pas retomber dans le néant de la mort propre au sujet. C’est le sujet psychotique qui, en lieu et place du Dieu de Malebranche, continue à courir pour créer ce qui doit être créé.
Les thèmes de la mort de Dieu et de la création à partir de rien annoncent le séminaire sur l’éthique.

C’est dans ce séminaire également que Lacan prendra distance par rapport à une interprétation trop carrée de la forclusion du Nom-du-Père. Le nom « père » tel qu’il peut être pointé peut-il être radicalement absent, forclos dans un récit de vie ? C’est bien peu probable qu’on puisse le montrer dans la psychopathologie. Quant à la fonction Nom-du-Père comme fonction, elle est nécessaire à la structure même du schéma L, du signifiant ; il y a toujours quelque chose qui en prend la place, la métaphore paternelle fonctionne toujours avec les suppléances qu’elle trouve [2]. Ce que démontre le processus de création de la réalité propre à la psychose.

 

5. Le fonctionnement du triangle symbolique dans la psychose.

Avec l’absence du Nom-du-Père, c’est toute la réalité névrotique qui est disloquée : d’une part, l’image spéculaire ne trouve plus à s’arrêter et se cherche indéfiniment, d’autre part la première symbolisation de l’objet (Mère) s’éloigne infiniment. Elle est abandonnée, laissée tomber par le créateur. Reste seul bien présent le signifiant de l’enfant désiré (Idéal du moi). Le signifiant primordial est bien là en I. Et c’est lui, le signifiant unique, tout seul, qui va faire tout le travail de soutenir la structure.

Car la place en P (Nom-du-Père) est bien là aussi, mais vacante. La ligne I-M contourne et vient lécher le trou creusé en P. Rermarquons que ce n’est pas M (qui a été laissée à elle-même) qui vient suppléer à P, mais bien I. D’où le nom du schéma I : à partir de I, il est trouvé une suppléance au trou en P. Les créatures de la parole (l’obligation pour Schreber de devoir parler, le jeu forcé de la pensée) sont soutenues par l’Idéal du moi pour combler ou du moins pour cerner le trou en P. Leur matière provient encore d’une objectivité primordiale relative au M qui reste.

 

6. L’identification imaginaire qui en résulte.

L’identification imaginaire se fait normalement par la métaphore paternelle. C’est une identification au phallus (chez le garçon et chez la fille). Ici, la métaphore se produit autrement. La suppléance au Nom-du-Père entraîne une suppléance imaginaire correspondante dans le triangle imaginaire. Pas de phallus signifié. Donc le moi (i) doit y suppléer. Comment ? En tirant la ligne qui le relie à l’image spéculaire. C’est parce qu’il doit valoir lui-même comme le phallus que le moi, « le patient » est voué à entraîner son image spéculaire pour suppléer au manque phallique représenté comme Entmannung (émasculation).

 

7. La transformation en femme.

Faute de phallus, entendons de processus de relance, à partir du Nom-du-Père, la place du phallus trouve une suppléance dans le moi imaginaire.

« Faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère », il reste « la solution d’être la femme qui manque aux hommes » (p.566), la solution que le moi s’imagine comme la femme qui pourrait servir de phallus aux hommes, il s’imagine être la relance de toute l’humanité. Et ce, en en tirant la matière à partir de son image dans le miroir : « Il serait beau d’être une femme en train de subir l’accouplement ».

Pourtant cette solution pose problème, parce qu’il n’y a pas d’hommes ; vu l’absence de Nom-du-Père, il n’y a pas de phallus pour eux non plus. Seulement des « images d’hommes torchés à la six-quatre-deux » (flüchtig hingemachte Männer).

 

8. La régression du sujet au stade du miroir.

Le sujet doit « racheter » (Versöhnung, expiation, propitiation, reconciliation) ce manque radical de phallus. Il ne peut le faire que « brillamment », c’est-à-dire par un système purement imaginaire : le stade du miroir. Le moi ne peut suppléer qu’en s’étirant à partir de son image spéculaire. L’idée de grandeur qui en dépend se construit ainsi sur la mort du sujet. Et le thème homosexuel dépend de l’idée de grandeur.

 

9. La restauration de la structure imaginaire.

Elle suppose deux branches d’une même ligne. Primo, la branche qui va suppléer à l’absence du phallus, c’est la jouissance narcissique et transsexualiste, la féminisation du moi bien présent pour suppléer au phallus (p.569). Secundo, la branche qui se perd dans l’infini de la relation spéculaire, qui se présente comme la béatitude de l’âme, l’au-delà du monde et « qui s’accommode fort bien d’un ajournement indéfini de la réalisation de son but » (p.570). C’est à partir d’un futur, qui n’existe pas, qu’est créé dans l’imaginaire, un présent, qui existe, moyennant la courbe qui les réunit : l’image de la créature.

Le schéma I.

Comment comprendre la mort du sujet ou le meurtre d’âmes ?
Première solution : ce serait que le psychotique, en soi, n’est pas un vrai sujet. La psychose est vue alors comme déficience. Cette solution est exclue par l’ensemble de l’article, même si elle est défendue par certains lacaniens.
Deuxième solution : c’est simplement l’effet dans l’imaginaire de l’appel vain au Nom-du-Père dans le symbolique : un zéro résultant du zéro du Nom-du-Père.

Troisième solution qui seule respecte le sujet et la question du sujet (le schéma L) : c’est le produit d’un travail qui ramène l’élision du phallus à la béance mortifère du stade du miroir (p.571). Il y a a dans cette troisième solution une genèse qu’il n’y a pas dans le schéma de la deuxième solution. La mort du sujet a ainsi une valeur positive : le processus qui la sous-tend.

C’est la troisième solution qui prévaut puisqu’elle implique toute l’épaisseur de la créature réelle, qui est comprise entre les deux travaux de suppléances. « Toute l’épaisseur de la créature réelle s’interpose pour le sujet entre la jouissance narcissique de son image et l’aliénation de la parole où l’Idéal du moi a pris la place de l’Autre » (p.572). La jouissance narcissique de son image c’est l’image spéculaire dans le futur de la créature unie à Dieu qui détermine la jouissance transsexualiste venant border le trou phallique. L’aliénation c’est la symbolisation manquée dans le passé de l’objet primordial qui détermine l’idéal du moi à venir border le trou de l’Autre.

Par là, la réalité est restaurée pour le sujet : « pour lui sorte d’îlot dont la consistance lui est imposée après l’épreuve de sa constance, pour nous liée à ce qui la lui rend habitable, mais aussi qui la distord, à savoir des remaniements excentriques de l’imaginaire I et du symbolique S, qui la réduisent au champ de leur décalage » (p.573). La seule différence c’est les distorsions du schéma R auquel nous, les normaux, sommes conditionnés de par le Nom-du-Père.

La fonction de la réalité, restaurée, est secondaire par rapport aux processus (symbolique et imaginaire) qui la conditionnent. Malgré les remaniements, le schéma L est conservé pleinement (p.574).
« Il vaudrait mieux schéma de la mettre au panier… » s’il devait aider quiconque à oublier l’analyse qui le sous-tend.
À savoir : le message, la parole au-delà et en deçà de l’homme qui la porte.

« L’être de l’homme non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait pas en lui la folie comme la limite de sa liberté » (p.575, reprise de Propos sur la causalité psychique.)
Autrement dit, le schéma I est une présentation du schéma L.

 

Chapitre 5 : Post-scriptum

 

Il s’agit de préciser pourquoi Lacan n’ira pas plus loin. Pourquoi en reste-t-il à la question préliminaire ?

À savoir : Freud a découvert l’Autre = l’inconscient, c’est-à-dire une mémoire. C’est ce qui s’inscrit en l’Autre qui fait l’objet de la question, « question restée ouverte en tant qu’elle conditionne l’indestructibilité de certains désirs » (p.575).

« À cette question nous répondrons » : c’est la chaîne signifiante qui est en prise sur « l’être de l’étant », autrement dit le signifiant conditionne toute la réalité, ou encore le schéma L conditionne le schéma R. Névrose et psychose s’inscrivent dans la même structure ; il n’y a pas deux structures, mais seulement une structure qui explique une certaine séparation entre les deux seulement.

La différence entre névrose et psychose ne peut être tout au plus qu’une différence dans la façon dont le schéma L conditionne le schéma R ou le schéma I.

Il se passe « un accident », « la forclusion du Nom-du-Père » avec pour conséquence « l’échec de la métaphore paternelle ». Les deux s’inscrivent dans la structure du schéma L.

Pourquoi s’arrêter là ?

Il faudrait revoir complètement le schéma R, c’est-à-dire le double support de l’Oedipe et du stade du miroir, propre à la névrose en tant qu’elle est normale. Autrement dit un remaniement complet de la théorie psychanalytique de cette époque.

Alors seulement, on pourrait aller plus loin et parler du traitement effectif de la psychose et de son objectif (par le transfert notamment). Si on ne mesure pas le pas accompli, on reste dans la conception du transfert duel c’est-à-dire d’un rapport de personne à personne.

En attendant, on peut récolter les résultats suivants beaucoup plus généraux :

 

1. Subjectivité délirante dont participe la science, le discours sur la liberté et le psychiatre.

L’arrêt permet de mesurer ce que l’on découvre : une perspective de la subjectivité délirante, où il n’y a pas dans la parole d’appel à l’Autre (pas de Du, pas de tu, pas de Thou). Ce qui ne veut nullement dire qu’il s’agit d’ineffable, que du contraire : « ce n’est pas ineffable puisque ça parle » (p.576). À partir du même belvédère (c.-à-d. la structure schéma L – schéma R), nous pouvons nous tourner vers la subjectivité scientifique où joue la même absence d’appel à l’Autre.

La subjectivité scientifique a pour corrélat et conséquence (imaginaire) « l’homme d’un discours sur la liberté qu’il faut bien qualifier de délirant » ; c’est une reconstruction du sujet là où il était mort, c’est-à-dire une suppléance phallique.

Qu’est-ce qui pourrait bien nous détourner de le situer « dans la catégorie de la psychose sociale » ? Pascal : « les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait fou par un autre tour de folie que de ne pas être fou ».

Tout ça est compatible avec le bon ordre, avec la réalité, etc. Le psychiatre ferait bien d’en tenir compte et de ne pas se fier lui-même sur son bon ordre, sur son sens de la réalité pour juger du psychotique. Car à ce domaine, il est bien de même structure que ledit psychotique, avec la même mise à l’écart de l’appel à l’Autre dans la parole (subjectivité scientifique et psychose sociale). Il ferait mieux d’élider son « idée d’être en possession d’une idée adéquate de la réalité à quoi son patient se montrerait inégal ». Il ne fait que reconstruire une réalité qui est de même nature que la réalité délirante du psychotique.

 

2. Précisions sur le déclenchement de la psychose :

1. forclusion du Nom-du-Père.
2. appel par un père réel (situé au niveau du couple imaginaire de la réalité bien conservée) = déclenchement proprement dit.
3. absence de réponse et cascade de remaniements du signifiant d’où procède le désastre croissant de l’imaginaire.
4. stabilisation dans la métaphore délirante.

La forclusion du Nom-du-Père peut se présenter de façons bien différentes. Cette recherche est tâtonnante (p.578).

Il faut insister : ce n’est pas la façon dont la mère s’accommode de la personne du père qui compte, mais « du cas de sa parole, de son autorité » – du signifiant, qui vaut de lui-même. Et c’est cette autorité qui relie le Nom-du-Père à la promotion de la loi (p.579).

Le Nom-du-Père « redouble à la place de l’Autre le signifiant lui-même du ternaire symbolique, en tant qu’il constitue la loi du signifiant » (p.578), c’est bien dire (par le dédoublement) le signifiant par lui-même.

Faute de distinguer l’instance du Nom-du-Père, on ne peut apprécier la juste place du transfert, du transfert de la relation au père (p.580), lequel exige toute la structure. On ne ferait alors que répéter le père Schreber l’orthopédiste (p.581).

Flechsig n’a pas réussi à suppléer au vide du Nom-du-Père. Au contraire, « le transfert que le sujet a opéré sur la personne de Flechsig » est « le facteur qui a précipité le sujet dans la psychose » (p.582).

Tout ceci n’est qu’introduction pour se former à la manoeuvre du transfert (p.583).

 

* * *

 

L’avenir de la question préliminaire dans le séminaire de Lacan.

Publié pendant le séminaire sur Le désir (VI).

Pendant sept ans (jusqu’au séminaire XIII, L’objet de la psychanalyse) Lacan ne citera pas La question préliminaire.

 

Pourtant plusieurs remarques :

Remarques pendant le séminaire L’Ethique (VII) sur la forclusion du Nom-du-Père qui ne peut être radicale, il faut éviter l’extrême logique.

Ce même séminaire analyse la condition essentielle du désir, La chose c’est-à-dire le vide, l’absence de tout Être souverainement bon, la mort de Dieu, la mort de la référence ultime. Ce n’est pas sans résonner avec le vide de la forclusion du Nom-du-Père, même si ce n’est pas du tout explicité par Lacan. Le Nom-du-Père est du côté de Dieu qui n’existe pas (séance du 23 mars 1960).

Le transfert (VIII) pourrait reprendre la question du transfert chez le psychotique laissée en suspens par la question préliminaire. Pourtant la psychose n’est pratiquement pas mentionnée dans ce séminaire (seulement Socrate qui aurait un noyau psychotique, séance du 11 janvier 1961). Néanmoins, le transfert tel qu’il est construit autour de l’objet a, l’agalma à rejeter n’est pas sans faire référence au vide de la Chose plutôt qu’au rapport transférentiel entre deux personnes. Le transfert n’est pas pris dans sa dimension oedipienne en référence au père. Aucune mention du Nom-du-Père dans le séminaire VIII.

L’identification (IX) parle bien sûr du père, du nom. Mais le nom propre est vu non comme une donnée, mais dans la dimension de l’acte. Un nom propre c’est ce qui engage une action, une vie. L’acte ne peut se produire qu’à partir de la place vide dans le sujet. Cette place vide c’est ce qui ne se réalise pas. À condition de n’avoir aucune réalité, on peut dire tout ce qu’on veut de ce qui n’existe pas. Ainsi « toutes les Licornes de la terre vivent à Naples », c’est tout à fait exact de même que « toutes les licornes de la terre habitent en dehors de Naples ». J’ai employé « licorne » comme un Nom-du-Père. Qu’est-ce que le Nom-du-Père ? C’est ce qui soutient l’Autre. Mais il n’y a personne qui puisse soutenir le lieu de l’Autre. « Tout père est Dieu », mais s’il n’y a aucun père à la hauteur, c’est facile à affirmer, ce ne sera jamais vérifié dans la réalité.

L’angoisse (X) se termine par l’annonce d’un nouveau séminaire sur non pas le Nom-du-Père, mais les Noms-du-Père. Comment ? Il faut maintenir la nécessité du mythe, c’est-à-dire du Nom-du-Père au singulier en opposition à la carence de la fonction du père (p.389), donc l’opposition Nom-du-Père/forclusion. Que veut dire cette opposition ?

Le mythe religieux du Nom-du-Père énonce que « le père est causa sui » (c’est ce que j’ai accentué dans la création par soi-même à partir de rien). Mais le père concret est celui « qui a été assez loin dans la réalisation de son désir pour le réintégrer à sa cause, quelle qu’elle soit, à ce qu’il y a d’irréductiblement dans la fonction du a ». Il s’agit avec le père non plus de donner un soutien stable à l’Autre, mais de se situer dans le manque de l’Autre, puisque l’objet a est justement l’objet toujours manquant. Et c’est seulement par ce manque dans l’Autre, osons dire par le trou dans l’Autre, ou encore par la forclusion du Nom-du-Père que s’ouvre « la possibilité du transfert ». « Ce qui fait d’une psychanalyse une aventure unique est la recherche de l’agalma dans le champ de l’Autre » (p. 390), c’est-à-dire la recherche du trésor, mais du trésor qui vaut comme place vide dans le champ de l’Autre.

Le séminaire annoncé – Les Noms-du-Père– n’aura qu’une seule séance. Il laisse la place vide. Après avoir évoqué pourtant les Noms-du-Père dans la Bible, il termine la seule séance en évoquant le transfert comme « transfert dans ce qui n’a pas de Nom au lieu de l’Autre » (p. 103). Rupture avec l’IPA.

Redémarrage du séminaire avec les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. On n’y retrouve pas le Nom-du-Père qui paraissait pourtant comme le concept fondamental du schéma R. Pour cause, puisqu’il s’agit au contraire de découvrir le vide dans l’Autre, le trou, ou autrement dit le réel. Et c’est ce réel qui permet de reprendre à nouveau frais les concepts freudiens : l’inconscient, la répétition, la pulsion, le transfert.

Le séminaire L’objet de la psychanalyse cite explicitement La question préliminaire quant à la structure générale (chapitre 1 et chapitre 3 de la question). Ce qu’il construit de nouveau c’est la topologie du champ de la réalité qui constitue une bande de Moebius (comme cela sera repris dans la note des Écrits, p. 553)

Je citerai enfin la séance du 21 juin 1972 (… ou pire) où Lacan rappelle que La question préliminaire c’est la structure, la structure en général (et pas la structure du psychotique). Il développera cela dans L’Étourdit, écrit le mois suivant.

[1] Principe suprême de tous les jugements synthétiques pour Kant.

[2] L’Ethique de la psychanalyse, p. 80 (16/12/1959).

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